La recomposition écologique des territoires, entre maîtrise et lâcher-prise

Yann Thoreau La Salle (Directeur général délégué à l’innovation de Keran, co-fondateur de la chaire Habiter au prisme des limites planétaires – avec IEA de Nantes, ENSAPL, AURAN)
Camille Picard (Directrice de TTU – Toits Temporaires Urbains, filiale de la Banque des Territoires et de SNCF Immobilier, membre du collectif Nouvelles Urbanités)
Clémence Aumond (Responsable Prospective et projets urbains ,avec Maud Joalland – directrice des Ateliers UP+ – Sce, Keran)
Michel Vayssié (Directeur Général de Bordeaux Métropole)

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Redirection écologique - Revue Œconomia Humana - UQAM

La Redirection Écologique

Numéro 2 – 2025

ENTRETIEN – Alain Deneault – De l’éco-angoisse à la lucidité : comment rediriger l’histoire

Entretien avec Alain Deneault par Zeynep Torun pour la Revue Œconomia Humana

Alain Deneault est un philosophe et essayiste québécois, connu pour sa critique du capitalisme, des paradis fiscaux et du néolibéralisme. Titulaire d’un doctorat en philosophie de l’Université Paris-VIII, il a d’abord travaillé sur l’oeuvre de Georg Simmel avant de se consacrer à l’analyse des formes contemporaines du pouvoir économique. Enseignant et chercheur, il est une figure influente du débat public au Québec, au Canada et en France, intervenant régulièrement sur les enjeux de justice économique et de gouvernance. Deneault enseigne actuellement à l’Université de Moncton et a publié plusieurs ouvrages marquants sur la captation du pouvoir par les élites économiques, le rôle des multinationales et la manipulation des normes juridiques et financières. Parmi ses titres les plus notables figurent Offshore (2010), qui dévoile les mécanismes des paradis fiscaux, La Médiocratie (2015), une critique du nivellement intellectuel dans la gouvernance, ainsi que la série Feuilleton théorique : Les Économies (2017), où il repense la notion d’économie sous divers angles. Son dernier ouvrage, Faire que ! (2024), interroge l’engagement politique à l’ère contemporaine. À travers son travail, il met en lumière les structures d’oppression systémiques et propose des pistes pour une réappropriation démocratique du politique et de l’économie.

Revue Œconomia Humana, 2(1), 2025, p.138-143


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La Redirection Écologique

Numéro 2 – 2025

La Redirection Écologique nécessite aussi une Redirection de l’ingénierie traditionnelle : Low-Tech et Biomimétisme pour une ingénierie redirigée

Philippe Terrier – Ing. Ph.D, Professeur enseignant, École de technologie supérieure – Montréal, Département des enseignements généraux.

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La Redirection Écologique

Numéro 2 – 2025

La biodiversité et l’engagement citoyen

Zeynep Torun, Candidate à la maitrise en sciences de la gestion, ESG UQAM

Nous vivons actuellement la sixième crise d’extinction de la biodiversité.

Depuis les années 2010, les individus s’intéressent davantage aux enjeux amenés par les changements climatiques et les conséquences qui en découlent, dont la perte de la biodiversité. Mais qu’est-ce que c’est la biodiversité ? Selon la définition de Wilson (1993), c’est la mesure de l’ensemble des espèces animales et végétales dans un espace donné. Il est possible de « l’appréhender à de différents niveaux du vivant ainsi qu’à des échelles géographiques et à des périodes diversifiées » (Brahic et Terreaux, 2019 cités dans El Jai et Pruneau, 2015).

Lorsque l’on cherche sur internet la question : « comment protéger la biodiversité? », il est possible de tomber sur de nombreux sites internet qui nous donnent des solutions faciles et applicables à partir de chez nous comme de naturaliser la pelouse, de mettre des nichoirs aux oiseaux, de limiter l’utilisation des produits chimiques, de planter des espèces indigènes, de créer de nouvelles zones protégées, etc. (Environnement et Changement climatique Canada, 2021 ; Pagano, 2020) La plupart de ces conseils constituent des petites astuces que nous pouvons appliquer dans notre quotidien, mais sont-elles efficaces pour protéger la biodiversité? En tant que citoyen.ne.s, sans l’appui de l’État ou sans une organisation rejoignant de plus grands groupes, nous sommes limités dans les actions que nous pouvons faire pour la préservation de la biodiversité et pour la lutte contre les changements climatiques. Par exemple, sans avoir le soutien de l’État ou des gouvernements, il est très difficile d’établir une nouvelle zone protégée. Certes, il existe des exemples qui défient la norme, comme l’achat de 2,6 kilomètres carrés de terres en Colombie-Britannique par l’organisme Conservation de la nature Canada dans le but de protéger la faune qui se retrouve au sein de ce corridor écologique important (Elboujdaïni, 2020).

Depuis plusieurs années, les citoyen.ne.s tentent de s’organiser pour lutter contre les changements climatiques et on assiste à de plus en plus de mouvements, de projets et de protestations qui ont pour but de préserver la biodiversité à la fois dans le milieu urbain et rural. Certes, dans nos démocraties délibératives actuelles, les scientifiques, les élu.es et les acteur.trice.s socioéconomiques occupe une place de premier plan dans les discussions. Néanmoins, ce sont les citoyen.ne.s qui sont en lien direct la biodiversité, c’est pourquoi ils et elles méritent également leur place dans les prises de décisions (Venne, 2012). De son côté, l’État a le devoir de créer des conditions favorables pour soutenir et encourager les comportements responsables. De cette manière, les citoyen.ne.s possèdent les outils nécessaires à la réalisation des changements qu’ils veulent accomplir. Malgré la coupure entre la société moderne et la nature – selon les données de la Banque mondiale, 70% de la population mondiale va vivre dans un milieu urbain en 2050 (Banque mondiale, 2022) – les citoyen.ne.s restent plus vigilants concernant la conversation de leurs milieux de vie (Venne, 2012). C’est pourquoi nous allons discuter d’exemples d’actions citoyennes qui ont été prises au Québec.

Dans le milieu rural, on retrouve plusieurs regroupements de citoyen.ne.s qui ont décidé de ne plus attendre les gouvernements pour passer à l’action. Au mont Pinacle, à la suite d’un grand projet de centre de ski, de golf et de condos à la fin des années 1980, les citoyen.ne.s de la région ont décidé de créer une fiducie foncière qui leur a donné les moyens nécessaires pour la protection des patrimoines naturels grâce au statut d’une organisation charitable qui leur permet d’amasser des fonds pour acheter des terres (Waridel, 2020). Grâce à cette fiducie, les citoyen.ne.s peuvent négocier des servitudes de conservations sur les propriétés privées avoisinantes dans l’objectif de maintenir, restaurer et préserver la faune naturelle de la région (Waridel, 2020). À la suite de la création de cette fiducie, on a vu apparaitre de nombreuses fiducies foncières partout dans la province.

Il est également possible de trouver d’autres organisations sans but lucratif œuvrant à la conservation des milieux naturels comme Corridor appalachien, la Fondation de la faune, Conservation de la nature Canada, Nature Québec, Nature-Action, le Réseau des milieux naturels protégés, Canards illimités (Waridel, 2020). Ce type d’engagement citoyen démontre bien la volonté des individus à la préservation du patrimoine naturel, mais aussi la défaillance de l’État face à la protection de la biodiversité.

Un autre exemple provenant du milieu urbain est le Champs des possibles se trouvant dans le quartier Mile-End de Montréal, qui incarne ce que peut être un projet communautaire innovant. Le groupe, composé de biologistes, d’artistes, d’horticulteur.trice.s et d’autres personnes concernées par l’écologie et le design, se regroupent pour protéger la biodiversité dans le milieu urbain sur les terrains abandonnés (Amis du Champs des possibles, 2022). Ce terrain, occupé jusqu’à la fin des années 1980 par le Canadien Pacifique, avait été laissé en friche. En 2007, Emily Rose Michaud, une résidente du quartier, a créé un projet artistique pour montrer les menaces d’un possible développement immobilier (Paré, 2013). En 2009, cet espace a été acheté par la Ville et a été confié aux résident.e.s du quartier. À la suite de cette mobilisation, une association a été créée à la fois pour protéger et pour gérer ce petit espace de nature en pleine ville. Selon les estimations des biologistes urbain.es, ce petit terrain au milieu d’un quartier industriel accueille environ 300 espèces animales et végétales. Sans l’engagement des citoyen.ne.s, la réalisation de ce projet n’aurait pas été possible.

Les exemples que nous avons donnés dans ce court article démontrent l’importance de l’engament citoyen dans la protection et la conservation de la biodiversité. C’est la raison pour laquelle les membres des communautés méritent une place plus importante dans les débats publics.


Références

Amis du champ des possibles. (2022). À propos. Amis du champ des possibles. https://champdespossibles.org/a-propos/

Banque mondiale. (2022). Développement urbain. World Bank. https://www.banquemondiale.org/fr/topic/urbandevelopment/overview

Brahic, É. et Terreaux, J.-P. (2009). Évaluation économique de la biodiversité. Éditions Quæ. https://doi.org/10.3917/quae.brahi.2009.01

El Jai, B. et Pruneau, D. (2015). Favoriser la restauration de la biodiversité en milieu urbain : les facteurs de réussite dans le cadre de quatre projets de restauration. VertigO : la revue électronique en sciences de l’environnement, 15(3). https://www.erudit.org/en/journals/vertigo/1900-v1-n1-vertigo02438/1035880ar/abstract/

Elboujdaïni, A. (2020, 5 juin). Un organisme environnemental achète un terrain britanno-colombien pour le protéger. Radio-Canada.ca. https://ici.radiocanada. ca/nouvelle/1709575/canal-flats-aire-protection-blaireau-pic-lewis

Environnement et Changement climatique Canada. (2021, 29 juillet). Protégez la biodiversité à la maison – Défi de protection de la nature. https://www.canada.ca/fr/environnement-changementclimatique/
services/patrimoine-naturel/activites/protegez-biodiversitemaison.html

Pagano, A. (2020, 15 décembre). Biodiversité: quelques solutions pour la protéger. SILO. https://silogora.org/biodiversite-quelques-solutions-pour-la-proteger/

Paré, I. (2013, 23 mai). Petite révolution urbaine à Montréal : le Champ des possibles — un non-parc ? Le Devoir. https://www.ledevoir.com/opinion/blogues/le-blogueurbain/378865/petite-revolution-urbaine-a-montreal-le-champs-des-possiblesun-non-parc

Venne, M. (2012). Les citoyens, la biodiversité et le pouvoir. La Lettre de l’OCIM. Musées, Patrimoine et Culture scientifiques et techniques, (144), 60‑66. https://doi.org/10.4000/ocim.1147

Waridel, L. (2020, 16 septembre). Citoyens et citoyennes à la rescousse de la biodiversité, l’exemple de la Fiducie foncière du Mont-Pinacle. Le Journal de Montréal. https://www.journaldemontreal.com/2020/09/16/citoyens-etcitoyennes-a-la-rescousse-de-la-biodiversite-lexemple-de-la-fiducie-foncieredu-mont-pinacle


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Comment assurer une bonne adhésion aux ententes internationales? Réflexion sur le rôle des institutions dans la résolution des problèmes environnementaux globaux

Léa Goldman, Candidate à la maîtrise en sciences de la gestion, ESG UQAM

« Malgré la négociation de centaines de traités, les efforts en vue de protéger l’environnement ont largement échoué si l’on considère que les tendances à la détérioration de l’environnement n’ont pas été empêchées et que le droit international de l’environnement ne sera pas en mesure de nous amener là où nous voulons, à temps pour parer une ère de déclin de l’environnement » (Lavallée et coll., 2015). C’est ce que James Gustave Speth, directeur général du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), a conclu en 2004.

Face à ce constat, il n’est pas surprenant que, depuis plusieurs années, de multiples tentatives aient été faites en vue de réformer l’architecture de la gouvernance internationale de l’environnement et de créer de nouvelles institutions internationales. Cette gouvernance, qui peut être définie comme l’« ensemble des processus par lesquels des règles collectives sont élaborées, décidées, légitimées, mises en œuvre et contrôlées » (Lavallée et coll., 2015), ne semble pas être en mesure d’apporter les solutions nécessaires face à la crise climatique que nous vivons actuellement. En effet, selon le dernier rapport du GIEC « le monde n’est pas sur la bonne trajectoire pour limiter le réchauffement climatique et éviter ses effets les plus graves. Seules des mesures immédiates et ambitieuses dans tous les secteurs sont à même de réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre » (Shields, 2022). On peut alors se demander où sont allés les promesses et engagements faits lors du Sommet de la terre de 1992.

La gouvernance internationale de l’environnement repose sur plusieurs institutions comme le programme des Nations unies pour l’environnement, qui a pour objectif de coordonner les activités des Nations unies sur le plan environnemental, tout en assistant les différents pays dans la mise en œuvre de leur politique. D’autres institutions, comme le Forum politique intergouvernemental de haut niveau sur le développement durable (FPHN), le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et les multiples institutions créées par les centaines d’accords multilatéraux sur l’environnement (AME), jouent également un rôle d’encadrement (Lavallée et coll., 2015).

Toutefois, il faut d’abord comprendre quelles sont les faiblesses de cette gouvernance internationale en vue de réfléchir à ses rôles futurs. Une des critiques faites à l’égard de cette gouvernance est d’ailleurs le chevauchement des attributions entre les institutions et leur caractère décentralisé qui ont un impact sur l’efficacité de celles-ci ainsi que sur l’adhérence et la coopération. La littérature mentionne d’ailleurs comme principale faiblesse l’« incohérence interne, les moyens insuffisants, la faible autorité, le défaut d’universalisme, le renforcement limité des capacités, et l’incohérence externe » (Lavallée et coll., 2015). Force est de constater que la fragmentation des efforts amoindrit les ressources et alors les actions qui peuvent être prises. De plus, la cohérence externe entre les organismes environnementaux et non environnementaux est tout aussi importante puisque ce genre de changement ne pourra pas s’opérer en silo. Finalement, le manque d’autorité et de contrôle fait en sorte qu’en cas de non-respect des différents accords, les recours sont limités.

Les possibilités de réforme sont, quant à elles, diverses : du « regroupement des conventions internationales à la création d’une organisation internationale de l’environnement plus ou moins centralisée, en passant par le renforcement du PNUE et la création d’une cour mondiale de l’environnement » (Lavallée et coll., 2015). Certainement, le regroupement des conventions internationales permettrait d’assurer plus de cohérence interne.

Cependant, la création d’une cour mondiale de l’environnement pourrait causer de multiples problèmes diplomatiques considérant que plusieurs états sont réticents à l’idée de mettre en œuvre des « mécanismes de responsabilité ou d’autres mécanismes classiques de mise en œuvre du droit international que sont les contre-mesures ou la suspension de l’application d’un traité » (Lavallée et coll., 2015), semblables aux mesures appliquées par l’OMC. Finalement, même si la création d’une organisation internationale de l’environnement permettrait d’avoir une gouvernance plus centralisée, il faut tout de même garder en tête qu’il ne suffit pas de créer une institution, mais plutôt d’assurer l’efficacité des accords et leur prise en compte dans l’économie mondiale.

Malgré l’ensemble des faiblesses identifiées et des propositions de réforme, il est possible de se questionner sur le rôle des institutions et des conférences internationales. Les problèmes environnementaux sont transfrontaliers, c’est pourquoi les états ont relativement rapidement mis en place des institutions qui peuvent être vues comme des « ensembles de règles persistantes et connectées (formelles ou informelles) qui définissent les rôles, contraignent les activités et construisent les attentes » (Morin et coll., 2015) afin de coordonner les efforts mondiaux.

Dans le cas de la biodiversité, c’est lors du Sommet de la terre 1992 qu’il a été possible de déceler une réelle intention d’intervenir sur cet enjeu. La définition la plus courante de la diversité biologique est d’ailleurs « celle donnée par la Convention sur la diversité biologique (CDB), soit la variabilité des organismes vivants au sein des espèces (diversité génétique), entre les espèces (diversité spécifique), ainsi qu’entre écosystèmes (diversité écosystémique) » (Hufty, 2001). La biodiversité est devenue un enjeu majeur des relations internationales pour de multiples raisons comme la sécurité alimentaire mondiale, qui en dépend. Également, le développement des biotechnologies a transformé la diversité biologique en ressource économique en en faisant un sujet d’intérêt grandissant. La convention sur la biodiversité a, quant à elle, permis de mettre sur la table les principales normes, règles et procédures décisionnelles.

Toutefois, l’enjeu pour la gouvernance de la diversité biologique, c’est qu’il s’agit d’un patrimoine commun de l’humanité, mais également d’une ressource nationale. Il existe un intérêt à coopérer, mais ces ressources peuvent avoir un impact économique sur les différents états. « La solution toute trouvée [pourrait] sembler être celle d’une convention internationale sur la diversité biologique, élément formalisé d’un régime, c’est-à-dire d’un ensemble d’institutions et de réglementations qui permettrait l’administration de cette ressource pour le bien-être collectif » (Hufty, 2001). Cependant, comme mentionné préalablement, les arrangements dépendent souvent de la nature des ressources. Par exemple, pour la couche d’ozone, il semblait évident que cette ressource était un bien commun et devait alors être considérée comme un enjeu global. Toutefois, la biodiversité est localisée et délimitée par un territoire ce qui rend sa gouvernance internationale plus épineuse.

Bien que l’ensemble de ces enjeux soient globaux et ont lieu sur une seule et même terre que nous partageons, « peut-être que les jugements à l’encontre des COP tiennent-ils du fait que nous nous attendons à ce que les leaders mondiaux règlent à eux seuls l’immense défi du climat » (Audet, 2015). Les négociations internationales pourraient plutôt être envisagées comme une composante d’un processus plus large. Ces négociations permettent de mettre en lumière les défis de la transition et d’attirer l’attention sur plusieurs enjeux tout en nous obligeant à nous projeter dans l’avenir. Bien que ces processus soient imparfaits, ils permettent d’ouvrir une discussion plus large sur les actions qui sont à poser.


Références

Audet, R. & Combes, M. (2015). Les grandes conférences climatiques sont-elles encore utiles ? Relations (781), 38–39. https://www.erudit.org/en/journals/rel/1900-v1-n1-rel02269/79721ac.pdf

Hufty, M. (2001). La gouvernance internationale de la biodiversité. Études internationales, 32(1), 5–29. https://doi.org/10.7202/704254ar https://www.erudit.org/en/journals/ei/2001-v32-n1-ei3084/704254ar.pdf

Lavallée, S. & Woitrin, P. (2015). La Conférence de Rio sur le développement durable (Conférence de Rio + 20) : révolution ou évolution de la gouvernance internationale de l’environnement ? Les Cahiers de droit, 56(2), 105–150. https://doi.org/10.7202/1031349ar https://www.erudit.org/fr/revues/cd1/2015-v56-n2-cd01937/1031349ar/

Morin, J. & Orsini, A. (2015). Chapitre 6. Institutions internationales. Dans : , J. Morin & A. Orsini (Dir), Politique internationale de l’environnement (pp. 157- 182). Paris: Presses de Sciences Po.

Shields, A. (2022) « C’est maintenant ou jamais» pour transformer le monde, prévient le GIEC, Le Devoir. https://www.ledevoir.com/environnement/695400/changementclimatique-il-faut-changer-le-monde-des-maintenant-previent-le-giec


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La Convention sur la diversité biologique : origines, accomplissements et obstacles. Une priorité nécessaire, loin d’être acquise

Axelle Ferrant, Candidate au doctorat en administration, ESG UQAM

Le 30 mai 1992, le ministre de l’Environnement, Jean Charest, déclare dans Le Devoir, « Le Sommet Planète Terre fera de juin 1992 un mois spécial sur nos calendriers. Nous croyons qu’il fera date dans l’histoire, car il tracera la voie à une véritable collaboration entre les pays pour la protection de notre planète. » (Charest, 1992) Pourtant, 30 ans plus tard, la collaboration internationale reste délicate et fragile tandis que la protection de la nature peine encore à recevoir la priorité qui lui est due et se trouve encore régulièrement reléguée au second plan. À titre d’exemple, à la fin mars 2022, dans le contexte de la guerre en Ukraine et de la hausse des prix des produits agricoles, l’Union européenne permet à nouveau de mettre en production les terres laissées en jachère. Or, ces quatre millions d’hectares de terres étaient initialement laissés en jachère dans l’objectif d’y préserver la biodiversité (Rohart, 2022).

La biodiversité est d’ailleurs un des sujets qui a été mis à l’honneur lors de la Conférence de Rio de juin 1992 (aussi appelé Sommet de la Terre). Ce sommet international qui réunissait 179 pays dans l’objectif de produire un plan d’action international sur les questions d’environnement et de développement a été est tenu à l’occasion du 20e anniversaire de la première Conférence sur l’environnement humain de Stockholm (Nations Unies, 2022). Bien que la prise de conscience de la disparition de la biodiversité a commencé lors du Sommet de 1972, il a fallu attendre au Sommet de Rio pour que cela s’officialise. En effet, la signature de la Convention sur la diversité biologique (CDB) constitue l’un des accomplissements de cette Conférence, en plus de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CNUCC) et la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification. La CDB est un traité international qui vise principalement la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique ainsi que le partage juste et équitable des avantages issus de l’utilisation des ressources génétiques.

La diversité biologique y est définie au sens large et couvre autant les gènes, les microorganismes, les espèces animales et végétales que les écosystèmes. Par l’entrée en vigueur de la Convention, en décembre 1993, la conservation de la biodiversité est désormais reconnue pour la première fois en droit international comme une « préoccupation commune de l’humanité » (Le Danff, 2002). Les signataires s’engagent à affronter collectivement la crise écologique. Un accomplissement majeur de la Convention est donc de fixer le cadre international pour la protection de la biodiversité. L’organe directeur de la Convention, baptisé la Conférence des parties (COP), s’assure de faire progresser la mise en œuvre de la CDB au travers de décisions prises lors de réunions périodiques, généralement aux 2 ans. La dernière COP (COP15) a eu lieu en Chine en octobre 2021 et a été relativement éclipsée par la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP26) qui a mobilisé l’attention des médias à la même période.

Toutefois, malgré l’institutionnalisation et la reconnaissance internationale de la nécessité de protéger la biodiversité, plusieurs obstacles s’érigent devant l’application effective de cette protection nécessaire. D’une part, ce « bien commun » reste géré à l’échelle nationale. La Convention reconnaît en effet à chaque pays le droit souverain de gérer à sa guise et selon sa politique environnementale les ressources qui se trouvent sur son territoire. Le caractère souple de la CDB se remarque notamment par l’utilisation récurrente d’expressions telles que « si possible », « si nécessaire » ou « en cas de besoin » dans le texte de 1992 (Tsayem Demaze, M., 2009). Le traité apparait donc peu contraignant quant au respect des engagements pris par les États qui le ratifient.

D’autre part, les États-Unis font exception notable en refusant de ratifier la Convention, sous la pression des industries de biotechnologies et d’organismes génétiquement modifiés, qui craignent des entraves au développement de leur industrie. Si le refus des États-Unis de signer un traité international n’est pas exceptionnel, n’est-ce pas discutable de refuser de s’engager à la protection de la biodiversité au nom de la protection d’une industrie qui manipule cette nature ? 

Si la protection nécessaire de la biodiversité se trouve entérinée dans le traité de 1992, force est de constater que la prévision de Jean Charest ne s’est pas réalisée. En effet, 30 ans après son message, l’état de ce bien commun a continué à se détériorer de façon alarmante. L’activité humaine en reste une des causes principales. Au lieu de remettre en production des terres laissées en jachère d’une superficie équivalente à la surface des Pays-Bas pour nourrir des animaux d’élevage, ne peut-on pas privilégier d’autres alternatives? Peut-on imaginer revoir nos habitudes de consommation et, dans le cas des jachères, réduire notre consommation de viande pour rester fidèles à la priorité donnée à la préservation de ce précieux « bien commun »? La question est certes plus complexe, mais des alternatives semblent indispensables pour accorder une réelle priorité à la protection de la biodiversité.


Références

Charest, J. (1992, 30 mai). Message de Jean Charest, ministre de l’Environnement. Le Devoir.

Convention sur la diversité biologique. (1992). Nations Unies. Entrée en vigueur le 29 décembre 1993. cbd-fr.pdf

 Le Danff, J. P. (2002). La convention sur la diversité biologique : tentative de bilan depuis le sommet de Rio de Janeiro, VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, 3/3. https://doiorg.proxy.bibliotheques.uqam.ca/10.4000/vertigo.4168

Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs. (2011). Mise en œuvre de la Convention sur la diversité biologique au Québec (1992 – 2010). Gouvernement du Québec. Mise en oeuvre de la Convention sur la diversité biologique au Québec (1992-2010) (gouv.qc.ca)

Nations Unies. (2022, mai 25). Historique de la Convention. Introduction (cbd.int)

Rohart, F. (2022, 23 mars). Pour produire plus, l’Europe ouvre ses jachères aux charrues. L’Echo. https://www.lecho.be/economiepolitique/europe/economie/pour-produire-plus-l-europe-ouvre-sesjacheres-aux-charrues/10375753.html

Tsayem Demaze, M. (2009). Les conventions internationales sur l’environnement : état des ratifications et des engagements des pays développés et des pays en développement. L’information géographique, 73, 84-99. https://doi-org.proxy.bibliotheques.uqam.ca/10.3917/lig.733.0084


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