Diane Gorcy
#Écospiritualité #Écosophie #Possibles #Amour
Puisque plus rien ne va de soi, puisque les valeurs qui définissaient nos identités d’hier se dérobent sous nos pieds, puisque notre solitude semble s’étendre à la manière de l’univers… il est temps. Timothy Morton, auteur du livre fondateur de « La pensée écologique », nous dit : « ne nous donnez aucun point d’appui et nous prendrons soin de la terre ». Puisque la Terre nous crie de changer (et si vous avez ouvert ces pages, c’est que vous l’entendez comme moi) je vous propose de me suivre sur un chemin académique peu commun, une sorte de quête d’autonomie sociale, aux allures de balade métaphysique qui, je l’espère, prendra l’aspect d’une invitation au voyage vers d’autres possibles.
Vivre dans le Capitalocène, c’est faire l’expérience d’un étrange rapport au temps. Le temps est un espace où chaque seconde contient un potentiel productif. Produisez ou culpabilisez de ne pas produire, mais surtout, ne mettez pas votre attention dans le présent. Regardez demain ou hier, ressassez ou inquiétez-vous, mais, surtout, ne vous arrêtez pas. N’écoutez pas le silence, ne regardez pas le ciel, ne sentez pas votre corps. Au contraire, détestez le silence et remplissez ce vide. Ne regardez pas le ciel et regardez devant vous. Ne sentez pas votre corps, car si vous le faites, vous allez apprendre à l’aimer et alors… et alors… et alors, l’amour n’est-il pas l’ennemi du Capital ?
« La seule façon de s’en sortir, c’est de descendre »
Êtes-vous là ? Êtes-vous là, à vous-même ? Demandez-le vous1 : que se passe-t-il en moi ? Détachez vos yeux de cette page et demandez-le-vous. Ça y est, je suis avec vous, vous êtes avec moi, parce que je parle de l’intérieur de moi-même. L’espace est créé, le temps est brièvement suspendu. Nous pouvons aller ensemble, vers l’origine des choses. Avant d’imaginer l’extérieur, construisons l’intérieur, car, souvenons-nous, si nous voulons un monde nouveau, nous devons à tout prix nous arracher à nous-mêmes au risque d’inventer les mêmes structures, les mêmes ressorts et les mêmes conditions qui nous ont amenés à lire ces lignes. Car « on ne peut supprimer l’oppression tant que subsistent les causes qui la rendent inévitable ». Or, la pensée est première. Les causes de l’oppression sont donc venues d’une pensée. Si les intentions originelles de cette pensée n’étaient pas à l’oppression, mais que le résultat l’est, alors c’est que l’idée du résultat était plus importante que la qualité de la pensée première. Voilà pourquoi nous devons avant toute chose nous réapproprier notre pensée. Il s’agit finalement d’apprendre à ne plus la subir, mais à l’utiliser. On ne choisit pas jusqu’à ce que l’on choisisse. Comment libérer l’autre quand on ne s’est pas libéré soi-même ?
Selon Hartmut Rosa, nous serions constamment en manque de temps. En réalité, je pense que c’est l’inverse qui se passe. Nous sommes2 terrifiés d’avoir du temps, du temps pour ne rien faire. Mais l’esprit, qui cherche constamment à se distraire, à absorber par peur d’être confronté à sa propre existence ou, plutôt, à son absence, n’en sera jamais convaincu. Nous avons tant appris à faire, comment apprendre à être ? Et quoi de plus terrifiant pour la pensée moderne que de reconnaître qu’elle ne maitrise pas tout, et, encore moins, l’Être derrière sa pensée ? C’est ce que Spinoza avait compris : L’Esprit n’est pas un empire dans un empire.
Cela n’est rien d’autre que de la peur de cette quête de croissance infinie, qu’elle soit définie en termes de profits, d’objet, d’accumulation d’expériences ou en termes de connaissance. La peur du vide, du rien, de l’anéantissement, de la mort. Et pourtant, c’est en nous adressant directement à ce point en nous-mêmes que notre être profond pourra en être affecté. Et en retour, celles et ceux de demain seront plus susceptibles que celles et ceux d’aujourd’hui d’en être affectés. Car « Dans le mysticisme, l’homme quitte le cadre de sa société particulière pour s’élever à l’humanité (…) ce qui permet de transformer en retour l’humanité elle-même » Il s’agirait donc de quitter le domaine de la pensée compulsive, parce que ça n’est pas par le droit, ni par la recherche universitaire sanctifiée ou par la force des choses que le monde de demain naîtra, mais par le cœur. Et ce cœur, c’est la conscience humaine, c’est l’esprit qui a conscience de l’esprit, c’est le témoin silencieux derrière l’ego qui s’échappe quand on veut le saisir. Si tu veux être libre, renonce à toi-même. Abandonne qui tu penses être aujourd’hui et laisses demain te guider.
Il est temps de parler d’amour.
La révolution culturelle qui est en cours dans une partie de la gauche et des centristes n’est rien d’autre qu’une révolution spirituelle. Qu’est-ce qu’une révolution spirituelle ? C’est une révolution du sens, de celui que nous choisissons de nous donner. Non, nous n’avons pas le monopole du cœur, mais enfin, il semblerait que nous ayons celui de la raison. Ou plutôt, celui de la raison du cœur, car même si on veut nous le faire croire, l’un ne va pas sans l’autre. Sortons de notre rôle social, essayons de rencontrer l’autre au-delà de l’image qu’il a de lui-même. Finalement, ce que je cherche à dire, c’est qu’il me parait essentiel de poser politiquement ces questions : pourquoi sommes-nous sur terre ? Quel sens voulons-nous nous donner ? Comment voulons-nous l’être ? Sommes-nous malades ? Voulons-nous guérir ? Quelle place politique voulons-nous donner à l’amour ? Pour bien vivre, pour comprendre, pour s’émanciper, pour grandir, pour apprendre à Être pour enfin réellement faire. Sortons du paradigme économique pour convaincre, parlons-leur d’amour et posons-leur des questions existentielles qui, au pire, révéleront leur mal-être et les pousseront à changer et, au mieux, les feront prendre conscience que tout est encore à inventer dans ce nouveau cosmos.
[1] Le plus souvent possible
[2] Je parle ici de la classe dominante, moyenne supérieure, etc. En aucun cas la femme qui cumule deux emplois dont l’un n’est pas rémunérée, est terrifiée d’avoir du temps. J’imagine donc que si vous lisez cela, surtout les notes de bas de page, c’est que tout comme moi, vous en faites partie.
Bibliographie
Bouaniche, A., Keck, F. et Worms, F. (2015). Bergson les deux sources de la morale et de la religion. Ellipses.
Morton, T. (2019). La pensée écologique. Zulma.
Spinoza, B. (1965 [1670]). Éthique. Flammarion.
Weil, S. (1995). Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale. Gallimard.
Weil, S. (2018). La personne et le sacré., RN Editions, p 61.
Acceptabilité sociale de la post-croissance
Numéro 1 – novembre 2023